Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
PICASSEEDES DINDES
PICASSEEDES DINDES
Publicité
28 avril 2008

L4ARGENT DU PAIN

L’ARGENT DU PAIN

La journée a commencé sous les meilleurs auspices. Nous nous sommes levés d’un bon pied, avons avalé goulûment notre grand bol de café au lait, passé rapidement notre visage sous le mince filet d’eau froide ( Hé oui l’eau chaude n’est pas encore à la maison) et enfilé nos vêtements. Puis nous sommes allés faire des glissades dans le petit bois. Au fil des ans, nous avons tracé dans ses ravines des pentes vertigineuses dans lesquelles nous lançons nos luges improvisées : de vieux cartons dans lesquels nous nous entassons pêle mêle. Bref, pas de nuage à l’horizon, la voix de notre mère ne s’est pas encore manifestée, le soleil réchauffe nos petits corps, une douce brise nous emporte vers des mondes magiques et   en ce moment précis, nous sommes en plein bonheur comme à l’aube des temps.  Tout à coup, la voix de notre mère portée par la douce brise nous parvient : Marie, Momo, à la maisoooooooooonn ! Tout de suiiiiiiiiiiiite !

Sans perdre une minute nous traversons le champ du père Gaultier qui jouxte un endroit extraordinaire : la fosse.   L’usine SOMECA et la ville déverse chaque jour des tonnes d’immondices et nous apporte quotidiennement de quoi alimenter notre imaginaire. Au milieu de tout ce fatras, nous récupérons de la ferraille, des objets insolites que nous assemblons avec art, de vieux journaux que nous revendrons au « pattier ». Nous nous retrouvons là avec tous les gosses de la cité, car ce terrain est le plus riche, le plus extraordinaire, le plus abracadabrant, le plus merveilleux espace de jeux dont un gosse puisse rêver. Nous n’imaginons pas un seul instant le cocasse et le désespérant de  cet amas hétéroclite, dont les suintements malsains  vont se perdre dans un ravissant petit ruisseau. Bref je traverse le champ du père Gaultier, suivi de près par Momo. Ma mère nous attend déjà dans la grande cuisine où trône une table immense.

-        Les enfants, je vais vous confier une mission importante, vous allez payer le pain chez le Père Bouillon, il y a là une somme énorme, vous êtes responsable de cet argent. 

Ma mère payait son pain et tout le reste à crédit, il faut dire que sa grande famille avale les maigres ressources amassées péniblement par mon père. Nous sommes comme un gouffre béant, jamais rassasiés, toujours affamés et la note chez le boulanger est très salée. Ma mère me confie le cabas dans lequel elle a placé le porte monnaie et, je dois le dire, toute notre fortune.

Accompagnée de mon frère Momo, nous partons, le cœur léger et fiers de la confiance incroyable que nous porte notre mère. Comme toujours, je chante et fais tournoyer le sac contenant notre trésor.  Nous cheminons gaiement et rencontrons les ouvriers de l’usine qui ont fini leur travail. La vie est belle, le soleil est de la partie et je fais tournoyer mon sac de plus en plus fort. Nous traversons un grand champ dans lequel vient se perdre un petit ru bordé de roseaux. Les grenouillent amoureuses, chantent toute leur passion, les grillons aussi. C’est une très belle journée. Soudain, mon cœur se serre, je ne vois plus le porte monnaie. Mon corps se liquéfie, ma tête me tourne, je me sens mal.  Mon frère tremble de tous ses membres et aperçois notre sœur Anne marie qui rentre du travail. Informée de la situation elle file avertir ma mère.

-        Ou elle est ? Ou elle est ? Je vais la massacrer, la rayer de la terre ; l’exterminer !

La masse énorme de ma mère se dessine à l’horizon de ma pauvre petite vie misérable. Comme dans un mauvais film, je la vois grossir, devenir monstrueuse, son visage n’est pas celui de ma mère, c’est une entité, un être venu d’ailleurs, ses rugissements me terrassent déjà, son souffle vengeur me balaie, je suis propulsée dans l’univers, mon pauvre petit corps n’est qu’une poussière infime. Lorsqu’elle arrive à ma hauteur, elle me saisit par ma queue de cheval, (ma coiffure préférée car elle me fait ressembler à minou Drouet, ma star du moment), et dans un énorme tourniquet me fait voler dans les airs. Je suis devenue ballon, petite bulle qu’un moindre souffle pourrait exploser et réduire à néant. Je hurle, elle aussi !  Son désespoir est grand, car c’est la paie entière de mon père qui était dans ce  maudit sac. . Elle me frappe avec une violence inouïe et  me vomit dessus toute la haine qu’elle a de la vie, tout son désespoir aussi. Je suis dans un autre monde, les coups pleuvent, mais ne m’atteignent plus, j’ai déjà la faculté de flotter dans l’air, je quitte mon corps et je pars dans un univers bleu d’azur. Souvent quand je suis en danger, mon univers préféré est bleu, je ne sais pas pourquoi. Une voix venue de très loin crie : arrêtez, arrêtez vous allez la tuer !   Je pense que déjà il est trop tard car je suis au paradis, mon corps flotte, je ne sens plus rien, juste la douce brise et le chaud rayon du soleil. Pourtant cette journée avait bien commencé, porteuse de douces promesses, dans les rires et l’insouciance. J’ai rêvé encore une fois que je serais une star, me suis imaginée célèbre, belle, intelligente et incontournable. Je sens dans tout mon être que ce rêve sera le dernier, je le sais, je n’aurai pas vécu assez longtemps pour pouvoir le réaliser : c’est la fin. Je meurs !......

Puis, comme dans un rêve, arrive un garçon avec le porte monnaie dans lequel l’argent est retrouvé en totalité. Maman quitte son habit de monstre vengeur, s’écroule à terre et pleure. Elle retrouve son doux visage, celui de « mon amour pour la vie ». J’atterris sur le sol, je me suis pissée dessus, j’ai eu peur ! Peur que ma mère me tue tellement sa colère était violente, tellement sa rage était incontrôlable ! Peur de ne plus pouvoir lui dire que je l’aime !

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité