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PICASSEEDES DINDES

PICASSEEDES DINDES
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28 avril 2008

L4ARGENT DU PAIN

L’ARGENT DU PAIN

La journée a commencé sous les meilleurs auspices. Nous nous sommes levés d’un bon pied, avons avalé goulûment notre grand bol de café au lait, passé rapidement notre visage sous le mince filet d’eau froide ( Hé oui l’eau chaude n’est pas encore à la maison) et enfilé nos vêtements. Puis nous sommes allés faire des glissades dans le petit bois. Au fil des ans, nous avons tracé dans ses ravines des pentes vertigineuses dans lesquelles nous lançons nos luges improvisées : de vieux cartons dans lesquels nous nous entassons pêle mêle. Bref, pas de nuage à l’horizon, la voix de notre mère ne s’est pas encore manifestée, le soleil réchauffe nos petits corps, une douce brise nous emporte vers des mondes magiques et   en ce moment précis, nous sommes en plein bonheur comme à l’aube des temps.  Tout à coup, la voix de notre mère portée par la douce brise nous parvient : Marie, Momo, à la maisoooooooooonn ! Tout de suiiiiiiiiiiiite !

Sans perdre une minute nous traversons le champ du père Gaultier qui jouxte un endroit extraordinaire : la fosse.   L’usine SOMECA et la ville déverse chaque jour des tonnes d’immondices et nous apporte quotidiennement de quoi alimenter notre imaginaire. Au milieu de tout ce fatras, nous récupérons de la ferraille, des objets insolites que nous assemblons avec art, de vieux journaux que nous revendrons au « pattier ». Nous nous retrouvons là avec tous les gosses de la cité, car ce terrain est le plus riche, le plus extraordinaire, le plus abracadabrant, le plus merveilleux espace de jeux dont un gosse puisse rêver. Nous n’imaginons pas un seul instant le cocasse et le désespérant de  cet amas hétéroclite, dont les suintements malsains  vont se perdre dans un ravissant petit ruisseau. Bref je traverse le champ du père Gaultier, suivi de près par Momo. Ma mère nous attend déjà dans la grande cuisine où trône une table immense.

-        Les enfants, je vais vous confier une mission importante, vous allez payer le pain chez le Père Bouillon, il y a là une somme énorme, vous êtes responsable de cet argent. 

Ma mère payait son pain et tout le reste à crédit, il faut dire que sa grande famille avale les maigres ressources amassées péniblement par mon père. Nous sommes comme un gouffre béant, jamais rassasiés, toujours affamés et la note chez le boulanger est très salée. Ma mère me confie le cabas dans lequel elle a placé le porte monnaie et, je dois le dire, toute notre fortune.

Accompagnée de mon frère Momo, nous partons, le cœur léger et fiers de la confiance incroyable que nous porte notre mère. Comme toujours, je chante et fais tournoyer le sac contenant notre trésor.  Nous cheminons gaiement et rencontrons les ouvriers de l’usine qui ont fini leur travail. La vie est belle, le soleil est de la partie et je fais tournoyer mon sac de plus en plus fort. Nous traversons un grand champ dans lequel vient se perdre un petit ru bordé de roseaux. Les grenouillent amoureuses, chantent toute leur passion, les grillons aussi. C’est une très belle journée. Soudain, mon cœur se serre, je ne vois plus le porte monnaie. Mon corps se liquéfie, ma tête me tourne, je me sens mal.  Mon frère tremble de tous ses membres et aperçois notre sœur Anne marie qui rentre du travail. Informée de la situation elle file avertir ma mère.

-        Ou elle est ? Ou elle est ? Je vais la massacrer, la rayer de la terre ; l’exterminer !

La masse énorme de ma mère se dessine à l’horizon de ma pauvre petite vie misérable. Comme dans un mauvais film, je la vois grossir, devenir monstrueuse, son visage n’est pas celui de ma mère, c’est une entité, un être venu d’ailleurs, ses rugissements me terrassent déjà, son souffle vengeur me balaie, je suis propulsée dans l’univers, mon pauvre petit corps n’est qu’une poussière infime. Lorsqu’elle arrive à ma hauteur, elle me saisit par ma queue de cheval, (ma coiffure préférée car elle me fait ressembler à minou Drouet, ma star du moment), et dans un énorme tourniquet me fait voler dans les airs. Je suis devenue ballon, petite bulle qu’un moindre souffle pourrait exploser et réduire à néant. Je hurle, elle aussi !  Son désespoir est grand, car c’est la paie entière de mon père qui était dans ce  maudit sac. . Elle me frappe avec une violence inouïe et  me vomit dessus toute la haine qu’elle a de la vie, tout son désespoir aussi. Je suis dans un autre monde, les coups pleuvent, mais ne m’atteignent plus, j’ai déjà la faculté de flotter dans l’air, je quitte mon corps et je pars dans un univers bleu d’azur. Souvent quand je suis en danger, mon univers préféré est bleu, je ne sais pas pourquoi. Une voix venue de très loin crie : arrêtez, arrêtez vous allez la tuer !   Je pense que déjà il est trop tard car je suis au paradis, mon corps flotte, je ne sens plus rien, juste la douce brise et le chaud rayon du soleil. Pourtant cette journée avait bien commencé, porteuse de douces promesses, dans les rires et l’insouciance. J’ai rêvé encore une fois que je serais une star, me suis imaginée célèbre, belle, intelligente et incontournable. Je sens dans tout mon être que ce rêve sera le dernier, je le sais, je n’aurai pas vécu assez longtemps pour pouvoir le réaliser : c’est la fin. Je meurs !......

Puis, comme dans un rêve, arrive un garçon avec le porte monnaie dans lequel l’argent est retrouvé en totalité. Maman quitte son habit de monstre vengeur, s’écroule à terre et pleure. Elle retrouve son doux visage, celui de « mon amour pour la vie ». J’atterris sur le sol, je me suis pissée dessus, j’ai eu peur ! Peur que ma mère me tue tellement sa colère était violente, tellement sa rage était incontrôlable ! Peur de ne plus pouvoir lui dire que je l’aime !

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28 avril 2008

LA LOIRE

LA LOIRE A DECIZE

Je ne sais par quel hasard Max avait posé ses valises à DECIZE. Il était « tombé en amour » pour le joli pont de pierres crémeuses qui enjambait la Loire. La petite ville commençait après le pont de pierres. Comme si ce pont était le commencement et la fin. La ville était surplombée d’un édifice religieux imposant d’où de petites ruelles partaient joyeusement. Une seule grande rue était réservée au commerce. Là, les bouchers, les charcutiers, les pâtissiers et les boulangers se taillaient la part belle. Un joyeux tumulte régnait sur ce petit monde, l’épicier commençait très tôt le matin et Lola l’entendait chanter à tue-tête. Fried, c’était son nom, était un épicier de l’ancienne génération. Il choisissait avec soin les meilleurs produits.

Assis sur les marches de son épicerie, il triait les légumes, mettait de côté ceux qui avaient souffert : les poires blettes, les tomates tachées, les salades fanées et rangeait religieusement les produits sélectionnés dans de jolies vanneries. Les uns après les autres, immuablement, les petits commerçants ouvraient leurs boutiques. Et dans la rue, ce n’était qu’odeurs de pâtisseries, de croissants chauds, de charcuteries. Chacun s’interpellait, se saluait dans une joyeuse convivialité. Lola aimait ces ambiances, et pour rien au monde elle n’aurait renoncé à tout cela.

La petite ville frémissait vers les 6 heures du matin, s’éveillait  et s’étirait entre les bras caressants de la Loire. Le fleuve se séparait en deux et berçait la ville. Quand il se fâchait et débordait sur les jolis promenades, engloutissant les petits jardins, les vergers et inondant tout sur son passage,  Lola se plaisait à penser qu’un jour elle partirait dans ses flots tumultueux.

En été elle aimait se rafraîchir dans les petits filets d’eau laissés par la Loire capricieuse et se tapissait dans les méandres ourlés de sable blond.  Des touffes épaisses de nénuphars émergeaient,  abritant  toute une faune qu’elle aimait surprendre à l’aube ou au crépuscule.

Max, était tout aussi épris de nature et la rivière capricieuse l’avait envouté de ses flots turbulents. Lui aussi aimait communier avec elle très tôt le matin. Il partait à l’aube, chargé de ses cannes à pêches, de son filet et des vers de terre qu’il avait extirpés de son jardin. Il lui suffisait de taper lourdement sur le sol avec sa bêche et les vers comme par miracle, sortaient pour son plus grand plaisir.

L’odeur de terre comme à l’aube des temps, lui rappelait  combien il était proche du monde végétal . Les mélanges subtils de tourbe, de vase et de fleurs des champs était un véritable régal et il se dit qu’il avait bien fait de venir ici. Le clapotis de la rivière léchant les berges humides de rosée émettait une douce mélodie, un peu comme de petits baisers. Les oiseaux s’éveillaient doucement  et une brise légère passait en se lovant sur cette terre odorante, frôlant  amoureusement  les roseaux, frisant la surface de l’eau et s’enfuyait légère et insaisissable.

28 avril 2008

REVERIES OCEANES

Elle s'assoit sur un talus qui domine l'océan et rêvasse sans bouger, laissant son esprit s'enfuir sur l'immensité océane, glisser sur la crête des vagues, rebondir sur la surface rutilante et dorée comme le ventre d'une femme, plonger dans les flots, poursuivre des multitudes de poissons de toutes les couleurs et se mêler à leurs jeux et puis, de temps à autre, se poser sur le fond sableux, se laisser caresser par les algues gluantes et lisses, orner son front de coquillages nacrés aux couleurs irisées et embrasser un poulpe qui passait par là. Son baiser se mue en une minuscule bulle, remonte des profondeurs abyssales et perce la surface de l'eau. Elle est bien, elle ne fait plus qu'un avec le ciel, l'océan et la terre, elle n'est plus qu'une poussière infime de l'univers, petite bulle prête à s?'envoler et à se fondre dans les nuages. Plus tard, elle redescendra sur terre en une pluie fine et bienfaisante, se glissera entre chaque feuille, coulera le long de leurs tiges, pénétrera la terre, s'infiltrera entre chaque grain de sable et rejoindra sa source. La boucle sera bouclée! Elle soupire d'aise, elle est bien !

28 avril 2008

OU EST MON FRANCOIS ?

Où est mon François ?

Le petit bois est le site privilégié de nos jeux et de toutes nos aventures enfantines. Nous adorons nous glisser dans les épais buissons et rester cachés tremblant d’une excitation intense, savourant par avance l’affreux moment où l’on nous découvrira. Nos jeux sont multiples, imaginatifs, je dirais même créatifs. Mes frères sont des guerriers fiers, puissants et cruels. Nous enveloppons ces conquérants de notre regard admiratif et les soutenons par nos cris et nos chants : aounicououni ! chaaouani ! aounicououni, chaaouani ! awawa, bikanaï kaÏ naÏ !!! Ils  sont les plus robustes, les plus herculéens et les plus rusés de la cité et je n’ai peur de rien à leurs côtés.  Je me redresse, je toise les gens, je me sens forte et m’abrite derrière leurs larges épaules. Ce matin, ils ont décidé d’aller faire des parachutes dans le petit bois.  Ce jeu est particulièrement enivrant : il s’agit d’attraper une longue branche de noisetier, de la faire ployer jusqu’à terre et de se laisser emporter jusqu’au ciel  en s’accrochant fermement à son extrémité. Ma mère nous a lâchés dans la nature de bonne heure, elle peut souffler un peu délivrée enfin de sa nombreuse progéniture. Nous sommes  heureux et libres, les frères Cherrier, Gras et Daguin rejoignent le groupe et poussent des hurlements à faire pâlir  les poltrons de la cité. Nous faisons un petit détour pour ne pas croiser les Raboutot, car  la guerre est déclarée et la castagne prompte à démarrer.  La famille Raboutot est une des familles nombreuses de la cité mais, pensons-nous, moins favorisée que nous. Nous les regardons avec mépris, les insultons copieusement et ils n’aiment pas cela du tout.  C’est l’affrontement permanent; Nous sommes une véritable armée et nous nous livrons une guerre sans merci. C’est une authentique horde de gamins crottés, habillés de vêtements tous plus usés et rapiécés les uns que les autres avec une gouaille phénoménale qui s’affronte, se mesure et marque son territoire. La cité est riche de jeunes vies et les familles nombreuses éclosent à tous les coins de rue, préparant le ciment d’une génération avide et curieuse.

Nous ne ratons aucune  occasion pour humilier les Raboutot et lorsque les malheureux nous tombent entre les pattes, nous les traitons comme des chiens. Claques, coups de pied, insultes, rebuffades, persécutions, tortillage de nez( très douloureux) tout est bon pour assouvir nos instincts de jeunes loups. Bref, nous passons une matinée inoubliable à faire des parachutes dans les noisetiers, glisser le long des ravines dans de vieux cartons récupérés à la fosse, piéger des oiseaux,  faire des barrages le long du petit ruisseau, torturer les plus faibles : la vraie vie quoi! Mes frères, infatigables, décident tout à coup d’attacher François Gras par les pieds à la branche souple d’un coudrier, non sans difficulté car il faut en même temps tenir la perche tendue comme un arc et  ligoter les pieds de la victime qui se débat comme un beau diable. La catapulte part alors dans un jet énorme et enlève dans le ciel le malheureux sous nos hourras et nos applaudissements frénétiques. Une jubilation intense traverse le bois, file entre les fragiles ramures et porte au néant les cris victorieux de la bande. Puis dans un esprit machiavélique, ou par pur désintérêt, mes frères décident de laisser François pendre au bout de sa branche, gigotant, hurlant et riant en même temps car il a trouvé ça très drôle. Nous partons laissant notre fruit mûr accroché à sa branche et continuons nos jeux tout en remontant à la maison car ma mère a sonné le rappel : pierrrrrrrot, luluuuuuuu, micheeeeeeel, sa voix  porte loin, trace au dessus des champs, vole par-dessus l’étang, passe au dessus du petit bois et nous percute de plein fouet. Comme des automates nous  revenons ventre à terre car la faim nous tenaille et ce rappel est le présage d’un succulent repas. Nos ventres grondent, nos papilles s’agitent, nos sens s’aiguisent, car ma mère est une véritable virtuose des fourneaux, une walkiri des sauces veloutées, une diablesse ensorceleuse qui nous tient par la bouche. Il y a belle lurette que nous avons oublié notre François, il est passé dans les tréfonds de notre mémoire, nous l’avons zappé, nous sommes passés sur un autre programme, il n’existe plus, il fait parti du passé, nous sommes déjà dans le futur, et quel futur !! Devant une marmite fumante, nous salivons comme des malades, le fumet délicat qui s’échappe du couvercle bosselé est une véritable torture pour nos sens exacerbés. Mon père tape sur le rebord de son assiette avec son couteau pour demander un peu de calme et d’un geste large plonge la louche dans la préparation odorante, servant chacun de nous avec une parfaite impartialité.

-        Z’avez pas vu mon François ? Il est toujours pas revenu à la maison !

La Marthe Gras passe le pas de la porte le visage grave. Nous sommes tous attablés devant le ragoût de mou que nous a préparé ma mère et toutes les têtes se portent instinctivement vers notre visiteuse d’un même mouvement comme le font les spectateurs lors d’un match de tennis. Sauf que là, la balle n’est pas dans notre camp, je dirais même que nous frisons la disqualification. La Marthe est notre voisine la plus proche et vient souvent prendre un petit café chez notre mère. C’est une femme courageuse  qui prend la vie de sa famille à bras le corps, effectuant de nombreux ménages. Rondouillette prompte à rire, elle arbore une paire de seins qui attise la convoitise de mes frères ainés alors en pleine crise d’adolescence. Mais pour l’instant, la chose est grave et les seins de la Marthe passent au dernier plan.  L’énorme marmite trône sur la table, fumante et odorante, mon père a tout juste eu le temps de remplir nos assiettes  et reste là debout tenant la louche à la main, bouche bée. Nous plongeons rapidement le nez dans nos écuelles, comportement classique d’individus qui n’ont rien à se reprocher.  Je n’aime pas le mou de cochon, me dis-je à cet instant même, réflexion  sans aucun rapport avec la question que vient de nous être posée. L’idée que je puisse ingurgiter des morceaux de poumon me dégoûte, mais il  faut reconnaître que cela donne un parfum unique aux pommes de terre, me dis-je, alimentant par la même ma réflexion. Bref, le tonnerre vient de s’abattre sur nous et plus particulièrement sur mes frères, Nous relevons nos visages essayant d’offrir à notre visiteuse l’image de la plus parfaite innocence.  Mais notre père n’est pas dupe et connait chacun de ses enfants à la perfection. Une magnifique brochette de faux culs s’étale sous ses yeux, Lulu se trémousse sur le banc, Pierrot en bégaie, quant à Michel je l’entends glousser férocement. Nous les plus petits, nous savons ce qui s’est passé dans le bois, mais devant les regards furibond des nos frères aînés, nous nous pinçons le bec, ouvrant des yeux étonnés. Nous n’avons pas intérêt à cafter, car les représailles seront terribles. L’atmosphère est lourde et mon père au bord de l’apoplexie, une colère sourde monte en lui, il sait que mes frères sont impliqués dans cette disparition, il pressent le pire. La calamité pourrait bien s’abattre sur nous si nous n’avouons pas notre méfait, le chaos pourrait bien entrer dans nos jeunes vies, emporter tous nos rires, nous plaquer au sol et nous mater brutalement. Mon père fulmine, il sait, il sent que mes frères  sont coupables, il sait que nous savons :

-        Les gars, si vous savez où se trouve le François, alors il faut le dire ! Tonne t-il bruyamment. Si vous avez fait une connerie il faut le dire et vite ! je vous donne cinq secondes : un, deux trois, quatre……

-        Arrête papa ! Il est dans le bois ! on l’a oublié ! On l’a pendu par les pieds, mais on l’a pas fait exprès ! On a seulement joué aux indiens !

-        Bon dieu de bon dieu ! allez vite, on y va ! S’il est arrivé malheur, je vous promets  la plus belle correction  que vous n’ayez jamais eue.  Allez venez avec  moi et plus vite que ça ! Bordel de dieu !

-       

La voix gronde comme un océan déchaîné, entre dans nos têtes et y déverse ses ondes menaçantes. Mon père prend la direction de la longue procession qui s’étire dans les rues de la cité enfiévrée. Il mène la marche tout en  distribuant des taloches aux  premiers qui la ramènent. Il est fou d’angoisse. La petite troupe se gonfle de curieux ameutés par les vociférations paternelles, elle bifurque  brusquement pour s’engager dans le petit sentier qui mène à l’étang et qui traverse le petit bois.

-        François ! Réponds ! La voix de Marthe part, stridente et angoissée, en direction du petit bois

Le boqueteau est silencieux, seuls les feulements des petits animaux en troublent sa quiétude.  On pourrait croire  l’endroit dépeuplé de toute vie animale car les buissons sont silencieux. Cependant  comme par magie, des nuées de moineaux en jaillissent et s’enfuient à tire d’aile effarouchés par le chahut que nous faisons.   Nous pénétrons les  bosquets, franchissant des murs de ronces, sautant par dessus des troncs mousseux et en pourriture, écorchant nos genoux calleux. Nous y voilà ! Devant nos yeux ébahis s’offre un spectacle que nous n’oublierons jamais

A l’extrémité d’une branche de noisetier un corps est suspendu. Pas un son ne s’échappe de sa bouche, le sang afflue à ses tempes menaçant de faire rompre les artères. . Le visage est violet, les yeux étonnés et vides comme ceux des poissons sur l’étal du marché, la peur se lit sur son visage. Pendu par les pieds, laissé seul, livré à ses terreurs enfantines, hébété,  incapable d’émettre un seul petit cri, François est au bord de l’apoplexie. Ses pieds ont été solidement ficelés par une cordelette, ses mains laissées libres pendent lamentablement. Il ne réagit plus, nous crions son nom pendant que notre troupe déboule dans la petite clairière. Il est comme un fruit trop mûr, prêt à tomber, il a tellement transpiré qu’il est recouvert d’une nuée de mouches et d’insectes divers. Nous reculons  devant la fragrance alcaline qu’il dégage avec une moue dégoûtée. Il tremble et s’agite mollement au bout de sa branche. Mon père sort alors son couteau qu’il a toujours en poche et tranche avec vivacité la corde.  Notre fruit pourri descend brutalement  éclatant sa chair sur les racines apparentes des Noisetier.

Ce jour là, François a plus de peur que de mal, notre victime à peine sur le sol se met à bégayer et à retrouver ses esprits. Marthe n’est pas contente et pousse un coup de gueule mémorable. Mes frères ne demandent pas leur reste et tracent penaud en direction de la maison. Autant vous dire que les punitions pleuvent  et viennent couronner cette journée exceptionnelle, haute en couleur et mémorable.

Un petit bonheur me fut réservé à l’issue de cette épopée. Grâce à mes frères et à leur exploit, j’ai eu le grand bonheur d’échapper au plat de mou que ma mère nous avait préparé! A toute chose malheur est bon !!!!

28 avril 2008

Picassée des dindes

PICASSEE DES DINDES

Picassée des dindes ! Picassée des dindes !  Une horde de morveux de la citée me poursuit et me harcelle : na ! na ! na ! nère ! Tu as regardé le soleil à travers une passoire, les mouches t’ont chié sur la figure !

Je n’en peux plus ! Il faut que ça s’arrête ! Il faut absolument que je me débarrasse des ces taches de rousseurs. Je deviens hystérique, je pète les plombs ! hihihihihihihihihi !!!!!!!!

Tu tiens de ton père ! me dit souvent ma mère comme pour s’excuser de ne pas avoir assuré sur ce coup- là. Je hurle, je pleure, je me frotte la figure cent fois par jour pour faire disparaître cette marque infâmante, je suis lépreuse, je suis un monstre ! Je voudrai mourir mais je n’en ai pas la force parce que je me dis que malgré tout il y a tant à faire sur cette terre, qu’il y a tant de promesses suspendues dans l’air. J’ai l’intime conviction que ma vie sera très belle et que si j’arrive à me débarrasser de ces maudites pioles, je serais tout à fait irrésistible. D’ailleurs, je clame haut et fort que je serais une grande vedette, je sais et c’est écrit dans ma chair, que le monde ne sera jamais assez grand pour moi. Je repousserai sans cesse les limites du possible, ma renommée sera grande, mes rêves sont fous, j’étouffe dans notre petite maison, j’enrage, je deviens folle ! Mon père qui a déjà vécu de nombreuses désillusions me ramène à la réalité d’une façon brutale : mais oui ! ma fille ! Tu sera vedette sur une roue de brouette ! ha ha ha !!!!

Puis un jour, ma mère m’attire contre elle et me dit :

Marie , viens là! Tu sais le 1er mai est un jour spécial. Si tu te lèves en  même temps que le soleil, que tu te roules dans la rosée du matin et que tu te frottes tout le corps avec la rosée tout fraîche, tu verras toutes tes taches de rousseur disparaitre comme par miracle. Demain, je te réveille avec ta sœur Sussu (ma sœur avait elle aussi quelques taches, mais j’étais une des plus atteinte de la famille) et vous irez vous rouler dans la rosée comme les petits lapins.

Toute émue, je me glisse dans mon lit et envisage enfin la vie sous un autre angle. Je m’imagine le corps enfin débarrassé des ces horribles marques. Je me vois princesse au teint pâle et  transparent comme de la porcelaine et adorée de mes sujets, tous subjugués par ma beauté. Cette nuit sera la plus douce de mon existence.

Aux aurores, ma mère nous réveille en nous chuchotant : allez les filles ! Debout ! Le soleil est en train de se lever, il ne faut pas arriver trop tard, sinon vous devrez recommencer l’année prochaine ! vite debout !

Le cœur battant, nous nous coulons  dans le jour naissant. Je pousse la vieille barrière au bois délavé par le temps et, accompagnée par ma sœur,  j’entre en grelottant dans les herbes baignées de rosée. Brrr ! Le froid glacial de cette matinée de Mai reste encore gravé dans ma chair. Mais je veux absolument me débarrasser de ces maudites taches et j’ai une confiance absolue en ma mère. En me retournant, je vois la souriante et sereine nous regarder et nous encourager du regard pour la plongée finale dans les graminées nimbées de rosée. Je me laisse couler dans l’ondoiement verdoyant et me frotte énergiquement.  Je me sens déjà comme neuve. Je suis sûre que les effets magiques de ce matin de Mai opèrent déjà et que je sortirais épurée, vierge de toute salissure du champ du père Gaultier, un peu comme lorsque nous allons nous confesser  et que le prêtre nous absout de tous nos péchés. 

Nous restons- là un long moment nous ébrouant comme de petits animaux sous le regard amusé de ma mère. Lorsque nous émergeons de ce décor magique,  la désillusion est grande.

Ce jour là je sus que je devrais m’habituer définitivement à ces affreuses picasses. Depuis je te rassure j’ai appris à les aimer et elles me rappellent mon père que j’ai tant adoré. Il était piolé comme moi et je porte sur ma peau son histoire comme un parchemin de vie.

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